Cette nuit j'ai eu pas mal de travail. Les locaux étaient sales, les poubelles pleines, les résidents angoissés, certains sont malades. Vous savez ces petits maux saisonniers qui nous rendent la vie impossible.
Et puis il a fallu réceptionner les repas, les compter, vérifier puis les ranger, mais pas dans n'importe quel ordre afin que ce soit plus facile pour se repérer, indiquer sur une feuille le nombre de repas livrés etc etc.
Enfin la routine quoi!
Toutes
ces petites choses mises bout à bout font que l'on n'a guère le temps
de s'ennuyer
Je décide de me dégourdir un peu les jambes à l'extérieur du bâtiment collectif et ainsi vérifier que tout va bien.
Soudain j'aperçois de la lumière chez un résident, le volet est totalement relevé.
C'est le studio de Vincent.
Jusqu'à présent il n'avait jamais vécu en institution.
C'est
l'un de ses proches qui s'en occupait et puis sur sa propre demande
Vincent est venu faire un essai en accueil temporaire.Ensuite après décision de l'équipe il a été admis sur la partie collective de l'établissement.
Comme la plupart des personnes que nous accueillons Vincent travaille dans un atelier adapté protégé.
Normalement il ne se lève que vers six heures mais comme le soir il boit beaucoup (chocolat, café), il doit se lever la nuit pour aller aux toilettes .
Hélas très souvent il urine dans son lit en plein sommeil ce qui l'oblige depuis peu à porter des protections .
Le
matin Vincent se lève dans les premiers, il sait se repérer seul dans
les transports pour aller travailler ; alors il y va sans
accompagnement.
Nous sommes encore loin de son heure de départ au travail, pourtant il est debout.
Je m'approche.
Je suis maintenant juste devant son studio
Je suis maintenant juste devant son studio
Je le vois distinctement, ses rideaux ne sont même pas tirés: il est totalement nu dans une posture qui me stupéfait :
Hallucinante vision nocturne: il a un doigt dans une oreille et celui de l'autre main dans l'anus.
« Un doigt ici et l'autre là ! »
"Téléphone à communications illimitées et gratuites garanties!
Plus fort que la 4 G d'un célèbre opérateur internet "
« Un doigt ici et l'autre là ! »
"Téléphone à communications illimitées et gratuites garanties!
Plus fort que la 4 G d'un célèbre opérateur internet "
Non mais imaginez le tableau !
Le
problème c'est qu'en face il y a un autre bâtiment (habitat
« normal »qui ne dépend absolument pas de l'institution) et qu'il
pourrait être vu.
Il faut obligatoirement que j'appelle Vincent.
Je
suis un peu géné mais très vite je lui téléphone pour lui demander de
fermer son volet sans faire aucune allusion au spectacle auquel je viens
d'assister...
Deux heures plus tard je le verrais prendre son petit déjeuner sur la partie collective et il partira au travail.
Ensuite....
... une heure après le lever des autres résidents qui vont au travail...
.....les transmissions avec le ou la collègue qui prend le relais....
Ensuite....
... une heure après le lever des autres résidents qui vont au travail...
.....les transmissions avec le ou la collègue qui prend le relais....
...je rentre chez moi ….me coucher !
Il
me vient une réflexion tout à coup concernant l'ardeur de notre hiérarchie à
vouloir nous transformer en agents d'entretien des locaux: Si nous ne
sommes plus disponibles pour observer et être vigilants (comme c'est le
cas ici) ; des évènements comme celui que je vous raconte seront
totalement ignorés et passeront à la trappe.Et pourtant elles sont relativement importantes, ces attitudes (même celles qui paraissent anodines ou anecdotiques), les signes sont évocateurs et importants pour le travail des "soignants et de l'équipe éducative"...
Augmenter les tâches, réduire le personnel et les coût est avant tout un choix de gestion et de management (*)(voir le lean management) très à la mode par les temps qui courent.
Le secteur social dans les grandes "assos" comme celle où je travaille n'y échappe pas.
Il faut savoir que ces "associations" soit-disant à but non lucratif font totalement partie de la machine néolibérale qui broie les salariés de nos systèmes capitalistes.
Elles contribuent au désengagement de l'état dans les services publics et certaines sont très lucratives.
Savez-vous que la nôtre qui emploie une centaine de personnes à temps plein à engrangé tout récemment plus d'un million d'Euro de fond de trésorerie.
Je ne parle pas de l'argent qui doit probablement être placé ou planqué ici ou là ni des partenariats intéressés (mutuelles obligatoires par exemple).
Pour financer ces beaux projets il y a des subventions publiques, locales départementales, régionales, des groupes financiers , ainsi que des banques qui sont totalement parties prenantes.
En bas de l'échelle le petit surveillant de nuit vit avec 1200E net par mois.
Nous gagnons moins que certaines personnes handicapées travaillant en atelier protégé.
Dans la fonction publique pour un même poste les hopitaux déboursaient près de 2000 euros net pour rémunérer ces personnels.
Marché juteux pour des gestionnaires adroits.
Pas étonnant que tout ce beau monde prospère ici également.
Certains services psychiatriques dans notre région vont fermer tout prochainement et ce sont ces associations qui prendront le relais.
Même très handicapés il faudra qu'ils bossent eux aussi ces messieurs dames pour faire tourner le business...et c'est déjà le cas depuis un bon moment.
(*) "lean management"?...Souffrance au travail :
à lire:Marie Pezé: "Travailler à armes égales" ou allez sur son site il y a beaucoup de documentation. http://www.souffrance-et-travail.com/
Il y a aussi le livre de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot..." la violence des riches" ils m'ont aidé à comprendre bien des choses concernant le contexte actuel et les raisons qui rendent pénible notre travail.