jeudi 14 novembre 2013

Un doigt ici et l'autre là




Cette nuit j'ai eu pas mal de travail. Les locaux étaient sales, les poubelles pleines, les résidents angoissés, certains sont malades. Vous savez ces petits maux saisonniers qui nous rendent la vie impossible.
  Et puis il a fallu réceptionner  les repas, les compter, vérifier puis les ranger, mais pas dans n'importe quel ordre afin que ce soit plus facile pour se repérer, indiquer sur une feuille le nombre de repas livrés etc etc.

Enfin la routine quoi!


Toutes ces petites choses mises bout à bout font que l'on n'a guère le temps de s'ennuyer

 Ainsi la nuit se passe et très vite il est un peu plus de quatre heures du matin.

Je décide de me dégourdir un peu les jambes à l'extérieur du bâtiment  collectif et ainsi vérifier que tout va bien.

Soudain j'aperçois de la lumière chez un résident, le volet est  totalement relevé.

C'est le studio de Vincent.


 Jusqu'à présent il n'avait jamais vécu  en institution.
 C'est l'un de ses proches qui s'en occupait et puis sur sa propre demande  Vincent  est venu faire un essai en accueil temporaire.

Ensuite après décision de l'équipe il a été admis  sur la partie collective de l'établissement.
 Comme la plupart des personnes que nous accueillons Vincent travaille dans un atelier adapté protégé.
 Normalement il ne se lève que  vers six heures mais comme le soir il boit beaucoup (chocolat, café), il doit se lever la nuit pour aller aux toilettes .
 Hélas très souvent il urine dans son lit en plein sommeil ce qui l'oblige depuis peu à porter des protections .

 Le matin Vincent se lève dans les premiers, il sait se repérer seul dans les transports pour aller travailler ; alors il y va sans accompagnement.
Nous sommes encore loin de son heure de départ au travail, pourtant il est debout.
Je m'approche.

Je suis maintenant juste devant son studio

Je le vois distinctement, ses rideaux ne sont même pas tirés: il est totalement nu dans une posture qui me stupéfait :
Hallucinante vision nocturne: il a un doigt dans une oreille et celui de l'autre main dans l'anus.

 « Un doigt ici et l'autre là ! »

"Téléphone à communications illimitées et gratuites garanties!
Plus fort que la 4 G d'un célèbre opérateur internet "
Non mais imaginez le tableau !

Le problème c'est qu'en face il y a un autre bâtiment (habitat « normal »qui ne dépend absolument pas de l'institution) et qu'il pourrait être vu.
Il faut obligatoirement que j'appelle Vincent.
 Je suis un peu géné mais très vite je lui téléphone pour lui demander  de fermer son volet sans faire aucune allusion au spectacle auquel je viens d'assister...

Deux heures plus tard je le verrais prendre son petit déjeuner sur la partie collective et il partira au travail.


Ensuite....
... une heure après le lever des autres résidents qui vont au travail...
.....les transmissions avec le ou la collègue qui prend le relais....

...je rentre chez moi ….me coucher !
Il me vient une réflexion tout à coup concernant l'ardeur de notre hiérarchie à vouloir nous transformer en agents d'entretien des locaux: Si nous ne sommes plus disponibles pour observer et être vigilants (comme c'est le cas ici) ; des évènements comme celui que je vous raconte seront totalement ignorés et passeront à la trappe.
Et pourtant elles sont relativement importantes, ces attitudes (même celles qui paraissent anodines ou anecdotiques), les signes sont évocateurs  et importants pour le travail des "soignants et de l'équipe éducative"...

Augmenter les tâches, réduire le personnel et les coût est avant tout un choix de gestion et de management (*)(voir le lean management) très à la mode par les temps qui courent.
 Le secteur social dans les grandes "assos" comme celle où je travaille n'y échappe pas.
Il faut  savoir que ces "associations" soit-disant à but non lucratif font totalement partie de la machine néolibérale qui broie les salariés de nos systèmes capitalistes.
Elles contribuent au désengagement de l'état dans les services publics et certaines sont très lucratives.
Savez-vous que la nôtre qui emploie une centaine de personnes à temps plein à engrangé tout récemment plus d'un million d'Euro de fond de trésorerie.
Je ne parle pas de l'argent qui doit probablement être placé ou planqué ici ou là ni des partenariats intéressés (mutuelles obligatoires par exemple).
Pour financer ces beaux projets il y a des subventions publiques, locales départementales, régionales, des groupes financiers , ainsi que des banques qui sont totalement parties prenantes.
En bas de l'échelle le petit surveillant de nuit vit avec 1200E net par mois.
 Nous gagnons moins que certaines personnes handicapées travaillant en atelier protégé.
Dans la fonction publique pour un même poste les hopitaux déboursaient près de 2000 euros net pour rémunérer ces personnels.
Marché juteux  pour des gestionnaires adroits.
Pas étonnant que tout ce beau monde prospère ici également.
Certains services psychiatriques dans notre région vont fermer tout prochainement et ce sont ces associations qui prendront le relais.
Même très handicapés il faudra qu'ils bossent eux aussi ces messieurs dames pour faire tourner le business...et c'est déjà le cas depuis un bon moment.

(*) "lean management"?...Souffrance au travail :
à lire:Marie Pezé: "Travailler à armes égales" ou allez sur son site il y a beaucoup de documentation. http://www.souffrance-et-travail.com/
Il y a aussi le livre de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot..." la violence des riches" ils m'ont aidé à comprendre bien des choses concernant le contexte actuel et les raisons qui rendent pénible notre travail.



mardi 12 novembre 2013

Mais enfin.... elles sont où les "foutues" clés d'Eugène?




Ce soir lorsque je reprends mon service il n'y a que deux résidents au foyer.
Le groupe (une dizaine de personnes) est allé à une trentaine de kilomètres en pleine campagne voir  des spectacles de rue.

 Il est un peu plus de 21h.
 Pour commencer je fais le tour des espaces collectifs et je salue le couple qui est resté.
Ils sont assis sur le canapé devant la télé.
Ils ne se parlent pas et semblent copieusement s'ennuyer.


Moi je n'en ai pas le temps car j'ai du boulot: rangement, lecture des transmissions écrites, tableaux divers à taper sur l'ordi (tableau de présence des résidents, menus à rédiger et à afficher, commandes sur internet  pour la réserve, entretien etc etc,)

Le temps passe...
Il est maintenant presque deux heures du matin et le groupe n'est toujours pas rentré.

Je pense à la collègue qui est maintenant sur le "grill" depuis plus de douze heures et c'est elle qui fait la matinée. (à partir de 7h ce matin).

Qui a dit qu'éducateur est un métier de fainéant?


Alors que je suis en train d'écrire avec face à moi le grand couloir qui mène au séjour....
...  j'entends du bruit et presque aussitôt  je les vois apparaître là-bas tout au fond avec des mines inquiètes, consternées et surtout des dégaines pas tristes .

Eugène est en tête, il porte sur la tête une sorte de chapeau texan noir manifestement trop grand pour lui et dont les bords lui font replier légèrement les oreilles .

Avec ce look et sa mine stupéfaite il me fait un effet des plus comiques.


En fait ils sont tous très  inquiets car à la fête Eugène a soit disant perdu les clés de son studio dans la nature.

Ils ont tous dû se mettre à la recherche des fameuses clés...

Cela a duré plusieurs heures.

Ils  avaient bien trouvé un trousseau de clés mais ce n'étaient pas les siennes, c'était celles d'un autre résident.

  La collègue me demande si je peux ouvrir le studio d'Eugène
avec mon pass...
....  Au moment précis où je l'introduis dans la serrure, Eugène qui glisse la main au fond de sa poche s'exclame:

- Elles sont dans ma poche!

Eclats de rire général et cri de consternation de tout le groupe.....
Ensuite chacun rentre chez lui
Quand à moi encore 5 heures à me "taper" et j'ai "du pain sur la planche"







 

dimanche 10 novembre 2013

babette Agathe Jojo.... brouillon










Lorsque l'établissement dans lequel nous travaillons a ouvert...Agathe a été recrutée dans l'équipe et s'est aussitôt investie comme coordinatrice. Elle n'était pas la seule éducatrice il y en avait une autre (plus discrète et plus observatrice...)

C'était il y a environ deux ans...il faisait beau et j'arrivais juste pour prendre mon service.
Tout le monde était sur la terrasse.
Babette était en accueil temporaire et venait juste d'arriver.

Après avoir eu dans sa tendre jeunesse un lymphome au niveau du cerveau, elle a dû abandonner ses études et s'est retrouvée dans le circuit des majeurs "protégés".
 Pour faire vite dans le  domaine médical souvent on appelle ça un trauma crânien.
Les psy disent qu'après ce genre d'incident la libido est exacerbée et que les barrières sociales qui nous maintiennent plus ou moins inhibés par rapport à certaines pulsions tombent.

Donc les résidents et notre chère Agathe se trouvent sur la terrasse, assis autour de la table.
Il y a une ambiance bizarre, il règne  comme une atmosphère de malaise général exceptée Agathe qui garde le sourire et reste plutôt détendue.
Tous font  la tronche ou presque...
Jojo (la cinquantaine ancien SDF) est en train d'essayer de se frayer un chemin avec sa main vers le sexe de Babette qui s'efforce de serrer les cuisses pour l'en empêcher.
Du coup eh bien moi aussi je me sens très mal à l'aise.
Je regarde Agathe qui ne bronche pas mais qui sourit, semblant se "régaler" de  la situation.
Pour moi comme pour les résidents c'est  insupportable.
Je les  regarde les uns après les autres et très rapidement  j'interviens, conscient que je suis en train d'assister à une tentative de viol et  je ne peux pas rester indifférent même si comme on me l'a dit je ne dois pas interférer dans le travail des éducs.

Très calmement je demande à Jojo de cesser, lui expliquant que ce qu'il fait n'est absolument pas possible qu'il n'a absolument pas le droit de se comporter ainsi.
Pas vraiment décidé à "lâcher" l'affaire notre (vilain) Jojo  ne consent pas à retirer sa main dans un premier temps.
Puis devant mon insistance il finit par obtempérer, il retire sa main.
Agathe n'a toujours pas bronché elle semble avoir passé un bon moment malgré le malaise ambiant.
Nous irons ensuite Agathe et moi dans le bureau faire nos transmissions orales.
Je ne peux m'empêcher de lui demander pourquoi elle n'était pas intervenue dans la situation que nous venions tous de vivre?
Agathe: Je voulais voir jusqu'où Jojo allait aller.

.La vie....quoi ... chez les "Bisounours"....



vendredi 8 novembre 2013

Court circuit et glissement de poste




Les résidents du foyer sont couchés, il est un peu plus de  deux heures du "mat"... Mis à part Olivier qui ne dort pas la nuit et que je vois régulièrement déambuler pour aller fumer son "clope" toutes les deux heures (entre deux films visionnés sur sa télé ou 2 jeux vidéos), pas âme qui vive, mis à part moi qui "turbine".
Là je suis dans la cuisine... Au programme: nettoyage des plans de travail, vidage du lave vaisselle, rangement de la vaisselle, tri, rangement  dans le frigo , vidage des poubelles, changement des torchons et essuies mains, nettoyage des sols des parties communes, balayage plus lavage etc etc...

 Au début nous n'avions que la cuisine et le séjour salle à manger à nettoyer, maintenant on nous demande pratiquement de faire le boulot de l'agent d'entretien qui ne vient que deux fois par semaine.
Du coup  l'agent va chez les résidents et fait leur ménage (comme à l'hôtel)...alors que la logique pédagogique la plus adaptée voudrait que ce soient les collègues de jour de l'équipe éducative qui s'en chargent avec les résidents sous forme d'accompagnement  avec l'objectif de leur  permettre une meilleure autonomie...
Mais non....c'est ainsi...
Dernièrement la chef de service nous a mis un mot dans notre cahier de liaison, nous reprochant vertement que les parties communes n'étaient pas entretenues...particulièrement le bureau et la salle de réunion.
 Il avait été pourtant convenu dans de précédentes réunions que le bureau et la salle de réunion, essentiellement utilisés par l'équipe de jour, seraient nettoyés par ces derniers ou l'agent d'entretien.
Qui a dit que le productivisme ça n'existait pas dans le social?

Là c'était le "pompon"...j'ai répondu très sèchement à cet ordre complètement "déplacé"...
Nous allons bel et bien vers un glissement de poste si nous ne réagissons pas.

Le problème c'est que d'une part nous ne sommes absolument pas formés pour
l'entretien des locaux (notre fonction est essentiellement relationnelle en continuité avec les mêmes objectifs éducatifs que l'équipe de jour , continuité du projet éducatif individuel,, sécurité des personnes, écoute, accompagnement nocturne: calmer les angoisses, maitrise et résolution de situation de crises, soulagement des malaises, soins de première nécessité avec mission de prévenir l'astreinte ou les services d'urgence en cas de besoin, absences des résidents anormale, intervention lors de mise en danger des résidents de leur fait ou  d'un élément extérieur, garantir la sécurité et la tranquillité du sommeil des personnes...etc etc)..
 ...Nous ne sommes pas des agents d'entretien, en aucun cas... même s'il est indiqué dans nos contrats que nous avons quelques tâches d'entretien à accomplir en complément de notre "veille" (Quelques tâches (non définies) ça ne veut pas dire faire totalement autre chose  que ce pour lequel nous avons été formés et recrutés)

..

Pour l'instant j'en suis à ranger la vaisselle et sous mon nez se dégage une forte odeur de "cramé"...

En baissant la tête je vois de la fumée qui s'échappe de la cafetière.
 L'interrupteur est pourtant éteint...
...???...
Je débranche aussitôt la prise électrique et observe "l'engin": le socle est plein d'un liquide noirâtre nauséabond, des restes de café stockés apparemment dans les parties électriques  de la machine...

Super!

Illico je la nettoie et refusant de prendre des risques de court circuit, je la remise dans la réserve...

 Ce matin résidents et éducs auront du café soluble au petit déj.

La fin de la nuit se déroule sans incident majeur.
J'ai encore une nuit à faire et ainsi après une journée de sommeil (eh oui.. nous dormons la journée!), je reprends mon service...
Quelle stupéfaction lorsque je vois en début de soirée la cafetière à nouveau réapparue à sa place habituelle dans la cuisine..pas un mot pas d'échange sur le sujet...ni avertissement en direction des résidents sur le risque de court circuit s'ils renversent de l'eau ou du café sur les parties électriques
Sympa!
Bonjour l'esprit d'équipe!


Pour conclure positivement: une des éducatrices à mis à l'ordre du jour de la prochaine réunion: "les risques  à mettre trop d'eau ou de café dans la machine "....